Présent dans les classes d'abord comme enseignant pendant 20 ans puis comme inspecteur depuis 18 ans, j'observe et je continue de m'interroger sur le métier d'élève.
J'ai appris à écrire avec un porte plume et un encrier, enseigner avec des duplicateurs à alcool... et aujourd'hui j'ai la chance de pouvoir porter un regard particulier sur l'évolution de l'environnement de la classe.
Cette modeste connaissance historique m'aide chaque jour face à l'invasion du numérique dans cet univers scolaire.
Quelles relations ont les élèves avec le numérique au sens large ?
Que nous dit cette génération à travers ses comportements ?
Nous avons mené une enquête auprès de 1569 élèves, scolarisés en cycle 3 dans des écoles rurales, urbaines et urbaines-Eclair. Les données que je livre ont été recueillies sous la forme de questions posées par l’enseignant avec une pondération de ce dernier. Il ne s’agit pas d’une enquête scientifique mais d’un état des lieux, photo, panorama en cette fin d’année scolaire 2012.
Nous sommes aujourd'hui en 2013 et ces premiers constats sont complètement confirmés.
Le tableau ci-après est un extrait de l’enquête réalisée, il ne présente que les réponses des 554 élèves de CM2 et sur les 513 élèves de CM1.
À chacun d’en tirer les conclusions qu’il voudra mais j'attire votre attention sur :
- le nombre d'élèves ayant un compte Facebook (pourtant interdit au mois de 13 ans...),
- sur les élèves pratiquant la vidéo-conférence (en ajoutant Skype et Messenger),
- sur le nombre de familles connectées selon les secteurs (ruraux, urbains…),
- sur le temps passé au quotidien sur cet outil informatique,
- sur le nombre d'élèves ayant une messagerie personnelle...
Les CM2.
89,71% ont accès à internet à leur domicile.
55,42% possèdent une adresse mail personnelle.
34,12% disent avoir un compte Facebook
63,64% utilisent un logiciel de vidéo-conférence (Skype ou Messenger)
Les CM1
85,96 % ont un accès à internet à leur domicile.
37,04 % possèdent une adresse mail personnelle
25,54% disent avoir un compte Facebook
36,65% utilisent un logiciel de vidéo-conférence.
Tout cela mériterait une enquête plus approfondie malgré tout il conviendrait surement de s’interroger sur :
- la place accordée à cet outil dans le cadre de la classe.
- ce qui se passe hors de la classe, que font les enfants tous les jours face à cet outil ?
- les responsabilités dans l'accompagnement de la maîtrise des outils de réseaux sociaux et qui apprend à un élève de 10 ans à gérer l’image qu’il laisse de lui sur Internet ?
Autant de questions qu’un professeur doit se poser pour envisager son métier autrement. Les élèves changent, la façon d’enseigner doit changer.
Je constate parfois des réticences à la mise en place d’un Espace Numérique à l’École. Mais ces résistants réalisent-ils que nos élèves sont déjà sur des espaces Numériques mais non sécurisés.
Qui leur apprend à circuler dans cet univers ? Pour le piéton, le cycliste nous avons créé l’APER, pour le numérique nous avons créé le B2i mais est-il mis en œuvre partout dans cette perspective d’un ENT ?
Avec un peu d’humour, je dirais l’ENT, «c’est maintenant»
En observant, les taux de connexions dans des quartiers Urbain-Eclair, nos élèves sont sur déjà sur internet.
Et puisque nos élèves sont sur internet en dehors du temps scolaire, la question devient alors : que puis-je tirer de cet élément, qui permet d’apprendre plus et, mieux, pour construire ces citoyens éclairés du 21ème siècle ?
Surement pas en m’opposant aux ENT qui constituent un espace sécurisé pour apprendre à utiliser ces outils de réseaux sociaux, avant le CM1, avant 10 ans.
Mais au-delà, lorsque je vois des taux d’usage de vidéo conférence, comment puis-je continuer à ignorer ces compétences de mes élèves ? Comment puis-je continuer à enseigner les langues vivantes uniquement avec un papier et un crayon ?
Celestin Freinet a inventé le journal scolaire pour apprendre à écrire en communiquant.
Que ferait-il face à ces outils nouveaux ?
Extrait de : «Les impératifs de la modernisation scolaire, C.Freinet, 1967».
«Chaque époque a son langage et ses outils.Nos arrière-grand-pères usaient des manuscrits et de la plume d’oie dans une école où l’autorité du maître s’affirmait par les verges et le bonnet d’âne. Les progrès techniques de la mécanique ont valu à notre génération l’ère des manuels scolaires et de la plume métallique, avec les méthodes que leur emploi nécessitait : devoirs, leçons, copies de textes, exercices dont l’éducateur et le livre réglaient souverainement le rythme.
Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle étape : l’imprimerie a désormais imposé sa royauté à tel point que le manuel le plus complet n’est qu’un ersatz de la richesse graphique mise à notre disposition par la technique contemporaine. L’écriture manuscrite elle-même tend à devenir mineure dans un monde où la manchine à écrire, la polygraphie, le disque, la radio, le cinéma, la télévision, le magnétophone intensifient et accélèrent l’intercommunication et les échanges».
Il faut changer l’école.
Sur l’architecture des écoles et des classes qui induisent des organisations d’école. Faut-il continuer sur le principe d’un enseignant et un même groupe pendant tout le temps scolaire, Ne peut-on imaginer des principes de modularité avec des groupes accompagnés accédant un savoir dans un lieu institutionnel géré autrement ?
Sur l’emploi du temps d’un élève et d’un enfant, il faut admettre que l’éducation ne se fait pas seulement à l’école et puisque nos élèves ont accès à des outils numériques y compris dans les secteurs dits « difficiles », il est urgent de se poser la question (avec les collectivités) de ce que nous pouvons faire pour proposer des contenus qui iraient au-delà des horaires scolaires. Ne serait-il pas plus intéressant qu’ils passent plus de temps sur des contenus validés plutôt que sur Facebook ?
Chers jeunes professeurs…
Nous avons trop longtemps opposé des générations. Il y a un vrai défi à faire travailler ensemble jeunes et moins jeunes, c’est indispensable et encore plus vrai aujourd’hui. Vous êtes tous des experts, certains apporteront leur expérience sur les contenus à enseigner, d’autres sur les nouveaux outils qu’ils maîtrisent. C’est cette addition qui fera changer l’école et qui permettra aux élèves de vivre et parcourir avec passion le chemin de l’éducation.
Le prochain article pourrait être comme me l'a dit un collègue, Richard Krawiec : "Ce sont les élèves qui changent l'école"
Source : Lionel Tordeux, IEN TUIC AC Amiens, Expert Ministère DGESCO
Retrouvez le tableau complet des résultats sur pedagotict.blogspot.fr
J'ai appris à écrire avec un porte plume et un encrier, enseigner avec des duplicateurs à alcool... et aujourd'hui j'ai la chance de pouvoir porter un regard particulier sur l'évolution de l'environnement de la classe.
Cette modeste connaissance historique m'aide chaque jour face à l'invasion du numérique dans cet univers scolaire.
Quelles relations ont les élèves avec le numérique au sens large ?
Que nous dit cette génération à travers ses comportements ?
Nous avons mené une enquête auprès de 1569 élèves, scolarisés en cycle 3 dans des écoles rurales, urbaines et urbaines-Eclair. Les données que je livre ont été recueillies sous la forme de questions posées par l’enseignant avec une pondération de ce dernier. Il ne s’agit pas d’une enquête scientifique mais d’un état des lieux, photo, panorama en cette fin d’année scolaire 2012.
Nous sommes aujourd'hui en 2013 et ces premiers constats sont complètement confirmés.
Le tableau ci-après est un extrait de l’enquête réalisée, il ne présente que les réponses des 554 élèves de CM2 et sur les 513 élèves de CM1.
À chacun d’en tirer les conclusions qu’il voudra mais j'attire votre attention sur :
- le nombre d'élèves ayant un compte Facebook (pourtant interdit au mois de 13 ans...),
- sur les élèves pratiquant la vidéo-conférence (en ajoutant Skype et Messenger),
- sur le nombre de familles connectées selon les secteurs (ruraux, urbains…),
- sur le temps passé au quotidien sur cet outil informatique,
- sur le nombre d'élèves ayant une messagerie personnelle...
Les CM2.
89,71% ont accès à internet à leur domicile.
55,42% possèdent une adresse mail personnelle.
34,12% disent avoir un compte Facebook
63,64% utilisent un logiciel de vidéo-conférence (Skype ou Messenger)
Les CM1
85,96 % ont un accès à internet à leur domicile.
37,04 % possèdent une adresse mail personnelle
25,54% disent avoir un compte Facebook
36,65% utilisent un logiciel de vidéo-conférence.
Tout cela mériterait une enquête plus approfondie malgré tout il conviendrait surement de s’interroger sur :
- la place accordée à cet outil dans le cadre de la classe.
- ce qui se passe hors de la classe, que font les enfants tous les jours face à cet outil ?
- les responsabilités dans l'accompagnement de la maîtrise des outils de réseaux sociaux et qui apprend à un élève de 10 ans à gérer l’image qu’il laisse de lui sur Internet ?
Autant de questions qu’un professeur doit se poser pour envisager son métier autrement. Les élèves changent, la façon d’enseigner doit changer.
Je constate parfois des réticences à la mise en place d’un Espace Numérique à l’École. Mais ces résistants réalisent-ils que nos élèves sont déjà sur des espaces Numériques mais non sécurisés.
Qui leur apprend à circuler dans cet univers ? Pour le piéton, le cycliste nous avons créé l’APER, pour le numérique nous avons créé le B2i mais est-il mis en œuvre partout dans cette perspective d’un ENT ?
Avec un peu d’humour, je dirais l’ENT, «c’est maintenant»
En observant, les taux de connexions dans des quartiers Urbain-Eclair, nos élèves sont sur déjà sur internet.
Et puisque nos élèves sont sur internet en dehors du temps scolaire, la question devient alors : que puis-je tirer de cet élément, qui permet d’apprendre plus et, mieux, pour construire ces citoyens éclairés du 21ème siècle ?
Surement pas en m’opposant aux ENT qui constituent un espace sécurisé pour apprendre à utiliser ces outils de réseaux sociaux, avant le CM1, avant 10 ans.
Mais au-delà, lorsque je vois des taux d’usage de vidéo conférence, comment puis-je continuer à ignorer ces compétences de mes élèves ? Comment puis-je continuer à enseigner les langues vivantes uniquement avec un papier et un crayon ?
Celestin Freinet a inventé le journal scolaire pour apprendre à écrire en communiquant.
Que ferait-il face à ces outils nouveaux ?
Extrait de : «Les impératifs de la modernisation scolaire, C.Freinet, 1967».
«Chaque époque a son langage et ses outils.Nos arrière-grand-pères usaient des manuscrits et de la plume d’oie dans une école où l’autorité du maître s’affirmait par les verges et le bonnet d’âne. Les progrès techniques de la mécanique ont valu à notre génération l’ère des manuels scolaires et de la plume métallique, avec les méthodes que leur emploi nécessitait : devoirs, leçons, copies de textes, exercices dont l’éducateur et le livre réglaient souverainement le rythme.
Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle étape : l’imprimerie a désormais imposé sa royauté à tel point que le manuel le plus complet n’est qu’un ersatz de la richesse graphique mise à notre disposition par la technique contemporaine. L’écriture manuscrite elle-même tend à devenir mineure dans un monde où la manchine à écrire, la polygraphie, le disque, la radio, le cinéma, la télévision, le magnétophone intensifient et accélèrent l’intercommunication et les échanges».
Il faut changer l’école.
Sur l’architecture des écoles et des classes qui induisent des organisations d’école. Faut-il continuer sur le principe d’un enseignant et un même groupe pendant tout le temps scolaire, Ne peut-on imaginer des principes de modularité avec des groupes accompagnés accédant un savoir dans un lieu institutionnel géré autrement ?
Sur l’emploi du temps d’un élève et d’un enfant, il faut admettre que l’éducation ne se fait pas seulement à l’école et puisque nos élèves ont accès à des outils numériques y compris dans les secteurs dits « difficiles », il est urgent de se poser la question (avec les collectivités) de ce que nous pouvons faire pour proposer des contenus qui iraient au-delà des horaires scolaires. Ne serait-il pas plus intéressant qu’ils passent plus de temps sur des contenus validés plutôt que sur Facebook ?
Chers jeunes professeurs…
Nous avons trop longtemps opposé des générations. Il y a un vrai défi à faire travailler ensemble jeunes et moins jeunes, c’est indispensable et encore plus vrai aujourd’hui. Vous êtes tous des experts, certains apporteront leur expérience sur les contenus à enseigner, d’autres sur les nouveaux outils qu’ils maîtrisent. C’est cette addition qui fera changer l’école et qui permettra aux élèves de vivre et parcourir avec passion le chemin de l’éducation.
Le prochain article pourrait être comme me l'a dit un collègue, Richard Krawiec : "Ce sont les élèves qui changent l'école"
Source : Lionel Tordeux, IEN TUIC AC Amiens, Expert Ministère DGESCO
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